Nathalia Milstein : Prokofieff et Ravel au programme de son magnifique premier CD

Ce CD qui paraît aujourd’hui chez Mirare regroupe deux œuvres importantes de la littérature pianistique écrites toutes deux en 1917. Il s’agit de la Quatrième sonate de Prokofieff et du Tombeau de Couperin de Maurice Ravel. A quoi s’ajoutent les Dix Pièces op.32 et la Toccata op.11 du compositeur russe, pages composées antérieurement.

Jeune pianiste française de vingt-et-un an, d’origine russe et de culture russe – ses parents ayant eu à cœur de lui transmettre cet irremplaçable héritage – Nathalia Milstein (qui n’a aucun lien de parenté avec le célèbre violoniste) a, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, étudié le piano avec son père, professeur au conservatoire de Genève, lui-même fils de Iakov Milstein qui fut, durant plusieurs décennies, professeur au conservatoire de Moscou. C’est à la Haute école de Musique de Genève qu’elle obtient ensuite, dans la classe de Nelson Gœrner, son Bachelor et le Master de soliste.

La musique de Prokofieff est un miracle d’équilibre entre une force motorique hallucinante, un lyrisme bouleversant et un art de la rythmique chorégraphique qui le destinait à la composition de ballets, c’est également un miracle d’équilibre entre un langage moderne et des formes traditionnelles, ce qui a généré des réactions contradictoires puisque Prokofieff fut taxé à la fois de révolutionnaire et de néoclassique.

La Quatrième sonate « sur des vieux cahiers », utilise un matériel thématique issu d’œuvres inachevées ou reniées datant d’une dizaine d’années. Ainsi le thème de l’Andante dont Poulenc disait qu’il était un « des sommets du lyrisme de Prokofieff » provient d’une symphonie jouée une fois en 1908 mais jamais inscrite au catalogue. Cette sonate, la dernière écrite avant le départ de Prokofieff d’une Russie en pleine révolution, est dédiée à un ami très proche dont le suicide affecta énormément le musicien, ainsi qu’en témoigne la gravité et les accents tragiques du premier mouvement et l’atmosphère douloureuse de l’andante. Le finale, quant à lui, est un rondo dont l’humour ne serait pas sans rappeler Haydn s’il n’y avait pas l’ironie des harmonies grinçantes. L’interprétation qu’en donne Nathalia Milstein est remarquable et traduit une compréhension profonde de l’œuvre. Son toucher n’est jamais dur malgré une écriture et une dynamique tendues, peu reposantes pour le pianiste.

Les Dix Pièces op.12 écrites entre 1906 et 1913 sont des essais d’écriture que Prokofieff a su personnaliser et qui dénote de son style à venir. Nathalia Milstein, comme elle le dit dans le livret du CD, les considère comme « une collection de confiseries ».

Le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel a été composé durant la guerre de 14-18 et chacune de ces pièces est dédiée à un ami tombé au front. Mais l’œuvre en elle-même n’a aucun rapport avec le conflit mondial, si ce n’est un hommage patriotique à un compositeur français qui avait exprimé avec subtilité et sensibilité l’esprit français du Grand siècle. Ravel s’y montre tel qu’en lui-même : avec une précision d’horloger et dans une écriture fluide, il traduit au fil de ces pages une sensualité savamment dosée. Nathalia Milstein a su traduire la pensée ravélienne avec beaucoup d’intelligence et nous offre une interprétation raffinée de ces six pièces.

A la suite de la Toccata qui conclut le cycle de Ravel, Nathalia Milstein clôt ce CD avec panache par la Toccata op.11 de Prokofieff, écrite en 1911, et dont la fameuse force motorique typique de Prokofieff est, là, nouvelle mais déjà prodigieuse et fascinante.

Frédéric Boucher, pour Au bonheur du piano, 9 mars 2018

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