La biographie des grands concertistes commence à peu près toujours de la même manière : né dans une famille musicienne, l’enfant commence le piano à trois ans, donne son premier concert à huit ans, entre au Conservatoire National à dix ans et obtient son prix à quatorze ans.
Giovanni Bellucci a connu un tout autre parcours. Si, à l’école, il réussit tout avec une facilité insolente et développe dès son plus jeune âge des talents remarqués pour la peinture, sa famille n’est ni musicienne ni même mélomane et il n’a jamais mis les mains sur un piano jusqu’à ce que…
A l’âge de quatorze ans, alors qu’il est invité avec sa sœur à l’anniversaire d’un camarade, l’un des adolescents du groupe joue du piano, et sa sœur tacle son frère : voilà au moins une chose que tu ne sais pas faire, lui dit-elle. Piqué au vif, il achète la partition des trente-deux sonates de Beethoven, plusieurs disques de ces œuvres et obtient du directeur de son collège le droit d’utiliser le piano de l’établissement à ses heures perdues. Totalement autodidacte, apprenant la musique en comparant les notations musicales à ce qu’il entend des enregistrements, il apprend en deux ans, tout seul, les trente-deux sonates ! Il se présente à l’Académie Sainte-Cécile où il est aussitôt admis. Dans la foulée, on lui demande de jouer en public avec orchestre la terrifiante Totentanz de Liszt qu’il apprend toujours sur le piano de son école, n’ayant toujours pas d’instrument chez lui.
A l’âge de vingt ans, il obtient le Prix de l’Académie Sainte-Cécile avec la Sonate Hammerklavier de Beethoven et la Sonate en si mineur de Liszt. Ensuite, tout en se perfectionnant auprès des plus grands comme Paul Badura-Skoda, Lazar Berman – qui dira de Bellucci qu’il « est l’un des plus grands talents que j’aie jamais entendus […] par sa virtuosité phénoménale, il parvient à un discours musical extrêmement innovant » -, et bien d’autres, il se présente à de nombreux concours internationaux qui le récompensent : Reine Elisabeth de Belgique, Casella, Busoni et le Monte-Carlo Piano Masters. A cette occasion, le critique musical du Monde écrit « Il n’y a pas dix pianistes comme lui dans le monde ! Bellucci renoue avec l’âge d’or du piano ».
Comment expliquer alors un tel miracle ? Une oreille d’une finesse exemplaire, une intelligence particulièrement vive, une mémoire phénoménale, une capacité de concentration exceptionnelle, une souplesse musculaire hors du commun, un sens artistique inné… bref « le » cocktail parfait qui atterrit on ne sait comment chez un être humain et nous renvoie humblement aux mystères impénétrables de la Vie.
Frédéric Boucher, pour le bulletin de l’AMAH, 11 mai 2020

Laisser un commentaire